top of page
P1855663_edited_edited_edited.jpg

LE MONDE  SUR LE POUCE

Le tour du monde 100% en stop et en images de Florence Renault

NIGERIA

Du 9 novembre  2020 au 28 janvier 2021

Récit De Voyage : les pires trois mois de mon tour du monde

Après avoir été bloquée huit mois au Cameroun à cause du covid, je me sens las et désespérée d'attendre. J'ai l'impression que les frontières terrestres vont rester fermées jusqu'en 2022. Je décide donc d'arrêter de déprimer. et de reprendre la route seule en auto-stop à travers la Cameroun jusqu'à la frontière du Nigéria.

 

Malgré la fermeture officielle des frontières terrestres, le 9 novembre 2020, j'entre au Nigéria par la petite piste de montagne de Dorofi. Le policier de la frontière esquisse une demande de pourboire puis me laisse passer sans insister. Par contre, il refuse de tamponner mon passeport. Il ne voit pas que j'ai modifié à la main les dates de mon visa. En Angola,  avant la pandémie, j'avais obtenu un visa pour le Nigéria mais il est périmé. L'ambassade du Nigéria au Cameroun ayant refusé de m'en donner un nouveau, j'ai changé moi-même les dates.

 

La modernité du Nigéria tranche avec la pauvreté du Cameroun, du moins en apparence. Ici il y a de belles routes bitumées, des trottoirs propres, des centres commerciaux, des fast-foods. Les jeunes soignent leur allure avec des habits neufs et du parfum. Mais le Nigéria est aussi un pays dit dangereux avec les attaques terroristes de Boko Haram dans le Nord, des pirateries et kidnappings un peu partout dans le pays, ainsi que les récentes manifestations violentes contre le SARS (unité de police anti-vol). Je décide donc de traverser le pays rapidement, avec un arrêt à Enugu puis à Lagos où je suis hébergée à chaque fois par des couchsurfers nigériens (site internet d'hospitalité gratuite). Au bout de dix jours, j'ai parcouru les 1500 kilomètres de route qui relient le Cameroun au Bénin. Je suis étonnée par le nombre de contrôles militaires le long des routes. J'en passe une centaine en me faisant la plus discrète possible. Je me baisse ou fais semblant de dormir. Quand on me demande mes papiers, je montre la photocopie de mon passeport et de mon visa, prétendant que l'original est resté dans mon hôtel dans la ville suivante. Personne ne se rend compte que je n'ai pas de tampon d'entrée et que les dates de mon visa sont modifiées.

Je compte ensuite traverser la frontière de Sémé entre le Nigéria et le Bénin, bien que celle-ci soit aussi fermée à cause de la pandémie. Il a été relativement facile d'entrer et de traverser le Nigéria, donc j'imagine qu'il va être facile d'en sortir. Un "passeur" prétend qu'il va m'aider et qu'il va falloir que j'attende la tombée de la nuit. Mais rapidement je réalise que c'est le commandant de police de la frontière. Je viens de me jetter dans la gueule du loup en lui expliquant que je viens du Cameroun et que je n'ai pas de tampon d'entrée. Je suis arrêtée pendant deux heures.

 

Lorsque je demande quand je vais être relâchée, le commandant me promet qu'il me rendra mon passeport et me laissera passer au Bénin "bientôt, aujourd"hui". En fait, il attend la visite du "grand chef de Lagos" et veut me garder pour montrer qu'il fait bien son travail en empêchant les gens de passer la frontière. Je lui propose de l'argent mais ça ne ne semble pas l’intéresser. Une dizaine de policiers me posent et reposent les même questions en boucle sous le petit préau du poste frontière. Je pleure de nervosité. Ils s'énervent quand je ne réponds pas. Les heures de détention se multiplient. Ils m'annoncent qu'ils vont me garder pour une nuit.

Il n'y a pas de prison au village de Sémé alors c'est l'improvisation complète. Je refuse d'être enfermée dans une maison avec une dizaine de policiers. Après une heure de larmes et d'obstination, accrochéee à mes sacs, devant le portail de cette immense enceinte de quatre mètres de haut, on m'accorde de dormir sur le carrelage de la chambre d'une femme officier. En guise de repas, j'ai le droit à un bol de riz. Je suis épuisée physiquement et psychologiquement. Ce qui m'inquiète réellement ce n'est pas le tampon d'entrée manquant mais qu'ils découvrent que j'ai falsifié les dates de mon visa. Je m'imagine croupir pendant des mois dans une prison nigériane ou d'être expulsée en avion et forcée d'abandonner mon grand défi de tour du monde en stop.

 

Le deuxième  jour, une famille libano-nigériane me rejoint sous le préau du poste frontière, surveillé par la police. Ils sont arrêtés pendant plusieurs heures sans aucune raison. Ils ont l'air habitué par ces abus de pouvoir. Ils m'expliquent qu'il y a beaucoup de racisme au Nigéria et qu'ils arrêtent souvent les blancs, comme un trophée de prestige. Finalement ils arrivent à négocier et repartir. Je profite d'un moment d'inattention pour m'enfuir. Mais je suis rapidement rattrapée. "Vous êtes en état d'arrestation", me crie l'un des policiers couvert de sueur en me tendant les menottes. Dépité, je lui réponds que je suis au courant, que ça fait deux jours qu'il m'ont arrêté. Je refuse les menottes et promet de le suivre jusqu'à un hôtel où je passe la deuxième nuit sur un matelas double partagé avec une femme officier.

 

Le troisième jour, je parle enfin au "grand chef de Lagos" qui reste impassible à mon histoire. Il dément ce que les policiers m'ont promis pendant trois jours : il ne veut pas me rendre mon passeport et encore moins me laisser passer au Bénin. Il exige que j'appelle mon consulat pour qu'il vienne me délivrer en signant une décharge de sortie. Au numéro d'urgence, je me fais engeuler par la secrétaire du vice-consul "Non mais quelle idée de venir au Nigéria, vous êtes inconsciente". Je lui réponds qu'après trois jours d'arrestation, j'ai plutôt besoin d'entendre des mots de réconfort et que le rôle de consulat est de venir en aide aux ressortissants français, non de les juger. Elle ne veut pas se déplacer à vingt-et-une heures, pour signer ma décharge et me libérer. C'est trop tard pour elle. Alors elle raconte au vice-consul que la police pourra me libérer seulement le lendemain. Je parcours les cent kilomètres qui relient la frontière à Lagos en "auto-stop" forcé, coincée entre deux policiers et je passe ma troisième nuit de captivité dans l'école de police de la mégapole.

 

Le quatrième jour, une autre secrétaire du consulat vient "négocier" ma libération avec la police nigériane qui garde mon passeport en prétendant que je serais escortée la semaine suivante à la frontière terrestre du Bénin et qu'il me sera rendu. Mais la police change d'avis, plusieurs fois, et ne respecte pas les soit-disants accords conclus avec la secrétaire. A chaque déplacement au service d'immigration, j'ai peur d'être à nouveau arrêtée. Je crains d'être condamnée à de la prison pour  "entrée illégale" et "falsification de visa"... qu'is n'ont toujours pas découvert. Je crains aussi une énorme amende, un officier me parle de quatre milles euros... Vu leur peu de scrupule à respecter les lois (procédure de garde à vue illégale et détention de passeport illégale), je crains le pire.

Je suis donc bloquée à Lagos sans passeport. Il paraît qu'une enquête est ouverte... Je dois donc attendre un jour, puis deux, puis une semaine, puis deux, puis six. La police d'immigration refuse de communiquer directement avec moi donc je rappelle le vice-consul tous les deux jours qui me dit clairement que je ne suis pas sa priorité et que je n'aurais pas dû venir au Nigéria. J'apprendrais que le vice-consul s'est fait raccroché au nez par un officier de l'immigration, ce qui expliquerait pourquoi, par orgueil, il ne veut pas les rappeller pour réclamer mon passeport et connaître mon sort. Puis le vice-consul attrape le covid. Il est d'abord isolé chez lui puis hospitalisé. La consule reprend mon dossier. Je me déplace en personne au consulat. Malgré mes pleurs à l'interphone, elle refuse de me rencontrer, de me donner un rendez-vous et ne répond pas non plus à mes deux emails.

Ainsi s'écoule deux mois d'incertitudes, d'espoirs ephémères avec la réouverture de la frontière terrestre, de stress avec des appels à l'immigration qui ne tient jamais parole, et surtout de desespoir profond lorsque Noël se rapproche et que rien ne se débloque. Je suis soutenue par quelques expatriés français qui m'hébergent et essaient de trouver des solutions officieuses. Mais l'affaire est devenue diplomatique et rien ne semble pouvoir se débloquer sans l'intervention du consulat. La froideur des messages du vice-consul, ainsi que ses intonations mysogynes et sa mauvaise foi choquent mon entourage français. Ils me préparent gentillement de bons repas pour Noël et le jour de l'an, mais mon coeur n'est pas à la fête. Mes sorties à la plage et à la piscine, ainsi que les compétitions de catamaran le week-end au yacht club me permettent de me vider l'esprit. Cette bulle d'expatriés me donne un peu de réconfort.

Le 31 décembre, je suis à nouveau convoquée à l'immigration. Au bout de six semaine d'attente, la décision finale tombe enfin : mon passeport me sera rendu à la seule condition que je montre à l'immigration un billet d'avion - pour la France uniquement- quelques heures avant mon départ. Pas de prison, pas d''amende, c'est déjà ça ! Personne ne s'est rendu compte que j'avais falsifié mon visa. Mais je n'ai pas le droit de quitter le Nigéria par voie terrestre vers le Bénin, bien que les frontières soient réouvertes. Il est hors de question pour moi d'abandonner un projet de sept ans de tour du monde en auto-stop par l'achat d'un billet d'avion. J'ai déjà fait le tour de tous les bureaux des compagnies maritimes et aériennes ébranlées économiquement par la pandémie. A la recherche d'un cargo-stop ou d'un avion-stop, je n'ai obtenu qu'un "peut-être" de la compagnie Royal Air Maroc. Je m'accroche à cet espoir tout en étudiant d'autres options moins légales. La roue a tourné : c'est maintenant le vice-consul qui m'appelle régulièrement pour me presser d'acheter un billet d'avion et de quitter rapidement le Nigéria.

 

Finalement un responsable d'Air France me téléphone, furieux, pour m'offrir un billet "à contre-coeur". Depuis sa tour de verre, il m'explique que je suis déconnectée de la réalité, que je dois finir mon voyage et que je ne mérite pas ce billet gratuit pour la France. Je me confonds en merci mais je suis choquée par sa colère et son jugement. J'en déduis qu'il a subi des pressions du consulat. Vu les dix milliards d'euros d'aide de l'Etat versés à Air France, ce ne serait pas surprenant. Je veux faire du stop mais pas forcer la main à une compagnie aérienne, et encore moins laisser le consulat dicter l'arrêt de mon aventure. D'ailleurs, je ne veux pas conclure une beau tour du monde de sept ans par trois mois de galères et un retour brutal en France. Le jour du décollage, j'appelle Air France et prétexte avoir attrapé le covid pour ne pas embarquer.

 

Une heure plus tard, un presque-miracle se produit : Royal Air Maroc m'appelle pour m'annoncer qu'ils soutiennent mon tour du monde en stop et m'offrent un billet d'avion vers le Maroc ! Ils pensent m'aider à quitter le Nigéria car   presque toutes les frontières terrestres d'Afrique de l'ouest sont fermées. Ils ne savent pas qu'ils m'aident aussi à sortir de toutes mes galères avec la police et le consulat. Départ prévu en avion-stop la semaine suivante !

 

Vu que mon unique destination doit être la France, je confectionne un faux billet d'avion Maroc-France et prétend que le Maroc ne sera qu'une escale. Je passe ma dernière nuit enfermée dans la salle d'attente du service d'immigration et aux aurores, deux policiers m'escortent jusqu'a l'aéroport. Ils n'ont aucune idée de ce que j'ai enduré pendant trois mois au Nigéria. D'humeur joyeuse, ils me demandent si j'ai aimé leur pays et quand est ce que je vais revenir. Plutôt ironique pour une expulsion. La guichetière me demande ma destination finale, je réponds "le Maroc", les policiers ne réagissent pas, tant mieux. Mais ils s'agacent quand Royal Air Maroc insiste pour m'inviter dans leur salon VIP. Devant la porte de l'avion, mon passeport m'est finalement rendu.

Derrière mon hublot, le lever de soleil rougit les plaines désertiques. Je m'extirpe par les airs de ce cauchemar.

Je ressens un profond soulagement mais aussi une certaine tristesse et un sentiment d'échec de ne pas avoir traversé l'Afrique de l'Ouest en auto-stop comme prévu. J'aurais aimé découvrir cette région et me rapprocher de la France lentement, kilomètres après kilomètres, à la force de mon pouce. Je me sens aussi infiniment chanceuse d'avoir trouvé un avion-stop et heureuse de retrouver mon copain à Casablanca dans quelques heures. Au Maroc je vais pouvoir poursuivre en beauté mon tour du monde en stop.

Photographies Du Nigeria

bottom of page